Les notions fondamentales de la Gestalt-thérapie se retrouvent dans la pratique du théâtre d’improvisation, ce qui fait du mariage de ces deux pratiques un outil de transformation particulièrement puissant.
L’attitude très phénoménologique en Gestalt-thérapie que l’on nomme « awareness » et qui consiste à être réceptif à ce qui se passe dans l’instant, sans idée préconçue, sans tension
particulière, ni jugement, ni projection, est la base même du jeu d’improvisation : dans l’espace de jeu seul compte ce qui est présent. Pour être disponible à chaque instant à ce que proposent
les autres joueurs, pour rester en jeu et que l’histoire se construise pas à pas, le joueur doit apprendre à ouvrir son attention au maximum à son propre ressenti, à son propre mouvement et à celui
des autres.
L’Impro-Gestalt cultive cette aptitude par des gammes d’exercice et une prise de conscience de ce lâcher-prise. Par une véritable ascèse de l’instant présent dans l’espace de jeu, elle amène peu à
peu à exporter ce savoir-faire dans la vie quotidienne.
La Gestalt-thérapie se veut une thérapie holistique qui ne sépare pas corps et esprit. C’est souvent en observant les réactions corporelles, puis en mobilisant le corps que des prises de conscience
peuvent s’opérer et que le changement peut intervenir.
L’Impro-Gestalt privilégie le travail corporel : l’atelier commence toujours par une écoute du corps dans le silence, par des échauffements progressifs. Puis le joueur est invité à s’exprimer
plus librement dans ses mouvements, à expérimenter de nouvelles formes. L’attention se porte sur le langage corporel, quand il s’exprime dans le mime, le ralenti, la danse, le contact du corps à
corps avec l’autre. Le temps du « feedback » permet d’affiner les sensations, de conscientiser le langage du corps, de le décoder en mettant des mots sur son ressenti, en s’appuyant sur le
regard des autres.
La Gestalt-thérapie privilégie l’émergence des émotions : apprendre à les nommer, les traverser sans les craindre, mieux les gérer, rendre plus fluide et plus vivant le passage de l’une à
l’autre, autant d’objectifs que peut se fixer une thérapie.
L’émotion, étymologiquement, c’est ce qui nous met en mouvement en allant vers l’extérieur. Cette force qui pousse en dehors se manifeste physiquement, et c’est d’abord là que se porte l’attention du
joueur : comment l’émotion se manifeste, mais aussi comment je peux la convoquer en partant du corps. Ainsi par exemple la tristesse sera dans mes épaules, le rire dans ma respiration, la peur
dans mes jambes, la colère dans mes poings.
L’Impro-Gestalt accorde beaucoup de temps au travail sur les émotions : la situation jouée par l’improvisateur est certes fictive (personnage, lieu, événements sont inventés !), mais les
émotions exprimées pendant le temps de jeu sont bien réelles. Elles sont le « carburant » du joueur et permettent au spectateur d’être réellement touché. Cette subtile alchimie entre
fiction et réalité permet au joueur de pleurer ou de rire vraiment, tout en passant de l’une à l’autre de ces émotions, poussé par la logique du jeu. Il va ainsi pratiquer une véritable gymnastique
émotionnelle qui lui permet peu à peu de vivre ses émotions sans y rester accroché. Le passage se fluidifie, la traversée est possible. Elles deviennent des amies que l’on fréquente et
apprivoise.
L’Impro-Gestalt fait une place privilégiée à la musique et à la voix.
Les improvisations sont souvent accompagnées par une musique. Soit elle est enregistrée, et elle devient une partenaire des joueurs, créant un climat émotionnel sur lequel ils peuvent s’appuyer,
rendant souvent les mots inutiles. Soit elle est accompagnement en direct par le thérapeute musicien, tour à tour pianiste ou percussionniste, qui soutient l’improvisateur, l’aide à développer
l’émotion qui nait, parfois le provoque en le changeant brutalement d’univers ou en lui suggérant une nouvelle polarité.
Le travail de la voix, véritable vecteur de l’émotion, est souvent un temps fort de l’atelier. Les exercices développent la technique vocale de l’improvisateur, mais aussi le mettent en contact avec
tout ce que sa voix véhicule d’émotion, d’interdits, de difficultés dans l’expression ou le contact. Expérimenter, conscientiser en mettant des mots, partager avec les autres membres du groupe,
autant de temps forts qui apportent du changement.
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La Gestalt-thérapie préconise l’exploration de notre monde « multipolaire » en visitant l’infinité de contraires qui nous habitent. Loin de nous proposer un juste milieu fade et sans
consistance, elle nous invite à explorer la gamme de personnages qui sont en nous et à choisir celui qui correspondra le mieux à chaque situation.
La spécificité du jeu d’improvisation permet d’incarner des personnages très différents dans un laps de temps très court. Il invite l’improvisateur à bondir d’un personnage à l’autre, à devenir un
polymorphe capable de s’ajuster à la situation. Il est convié à quitter un figé mortifère et à libérer en lui la force du changement. L’animateur amène ainsi l’improvisateur à explorer son
agressivité, puis sa soumission, son activité puis sa passivité… En inversant les rôles, il propose au joueur de basculer sans transition dans la polarité opposée. La fiction donne la permission,
souvent jouissive, de se montrer doux ou cruel. Parfois il faut faire face à la surprise : le joueur découvre une facette de lui-même qu’il ne connaissait pas. Il l’apprivoise par le personnage
qui permet la transgression. La personnalité s’en trouve enrichie, les zones d’ombre, une fois explorées, sont moins menaçantes. Par les temps de « feedback », l’Impro-Gestalt travaille à
mettre en mots ces découvertes pour mieux se les approprier.
L’Improvisation théâtrale est un jeu très codifié, qui donne un cadre strict au joueur. L’arbitre veille à ce que les règles soient respectées, il siffle des fautes, impose des thèmes etc…
Paradoxalement, ce cadre libère le joueur : concentré sur ce qui lui est demandé, il relâche sa vigilance sur lui-même.
L’Impro-Gestalt offre aussi au joueur un cadre thérapeutique qui lui garantit la confidentialité, la bienveillance, le non passage à l’acte et le soutient dans son expérimentation. Pendant les temps
de retour (ou débriefing), le regard sur soi, souvent dur et jugeant, se confronte au regard du groupe. Là s’ouvre un espace de régulation où peu à peu la honte qui survient peut être dite, partagée,
traversée.
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